Un fauteuil roulant électrique n’est pas un « véhicule terrestre à moteur »

Cass. Civ. 2, 6 mai 2021, 20-14.551, Publié au bulletin

La dernière jurisprudence en date rendue par la deuxième chambre civile de la Cour de Cassation est à saluer en ce qu’elle vient exclure du champ d’application de l’article 1 de la loi du 5 juillet 1985, les fauteuils roulants électriques utilisés quotidiennement par nombre de personnes en situation de handicap et/ou à mobilité réduite.

Dans cette affaire, une femme circulant en fauteuil électrique avait été impliquée dans un accident avec une voiture.

L’assureur refusant d’indemniser la victime de ses blessures cette dernière l’avait assigné devant le juge civil au fin de voir son droit à indemnisation pleinement reconnu.

Considérant que la victime n’était pas piétonne mais conductrice d’un « véhicule terrestre à moteur », l’assureur a alors opposé que cette dernière avait commis une faute excluant tout droit à indemnisation.

La Cour d’appel d’Aix-en-Provence avait reçu positivement ce raisonnement et avait ainsi limité le droit à indemnisation de la victime sur le fondement de l’article 4 de la loi du 5 juillet 1985.

En effet, ce dernier dispose que « La faute commise par le conducteur du véhicule terrestre à moteur a pour effet de limiter ou d’exclure l’indemnisation des dommages qu’il a subis »

C’est suite à cette arrêt que la victime avait formé le pourvoi en cassation à l’origine de la décision du 6 mai 2021.

Toute la problématique est que, sur le papier, le raisonnement de la Cour d’appel (et en substance celui de l’assureur) était implacable.

Pour rappel, l’article 1 de la loi Badinter précise que la loi s’applique « aux victimes d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ainsi que ses remorques ou semi-remorques, à l’exception des chemins de fer et des tramways circulant sur des voies qui leur sont propres. ».

Concernant la notion de véhicule terrestre à moteur, celle-ci n’étant pas définie par la Loi, c’est à la Jurisprudence qu’il a appartenu d’en définir les contours

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C’est ainsi qu’ont pu être reconnu comme des « véhicules terrestres à moteur » un vélo « solex » alors même que la victime tentait de faire démarrer son engin en pédalant (Cass. Civ. 28 avril 1986, n°85-11.175, Bull. n° 63) ou encore une « pocket-bike » conduite par un enfant (Cass. Civ. 2, 22 octobre 2015, 14-13.994, Publié au bulletin)

Ont également été reconnu comme tel, un kart (Crim. 29 juin 1999, no 98-84.981 , Bull. crim. no 156 ; D. 1999. IR 229 ; RTD civ. 2000. 131, obs. P. Jourdain) ou encore une tondeuse assise (Civ. 2e, 24 juin 2004, no 02-20.208 ; Civ. 2e, 22 mai 2014, no 13-10.561 ; RTD civ. 2014. 665, obs. P. Jourdain )

Il est enfin certain que prochainement seront appréciés la question de la nature des trottinettes électrique, des hoverboards, des segway etc…

Dans ce cadre, il a été considéré par les assureurs que celle-ci pouvait être définie par celle précisée par l’article L.211-1 du code des assurances encadrant l’obligation d’assurance des « véhicules terrestres à moteur ».

En effet, celle-ci est en apparence claire et vise « tout véhicule automoteur destiné à circuler sur le sol et qui peut être actionné par une force mécanique sans être lié à une voie ferrée, ainsi que toute remorque, même non attelée ».

C’est d’ailleurs sous cet angle que le doute était permis concernant l’incorporation d’un fauteuil roulant dans la catégorie des véhicules relevant de l’article 1 de la loi du 5 juillet 1985.

En effet, et comme l’avait fait la cour d’appel d’Aix-en-Provence, il était possible de considérer que muni d’un système de propulsion motorisée, d’une direction, d’un siège et d’un dispositif d’accélération et de freinage, un tel fauteuil roulant électrique était un véhicule terrestre à moteur au sens de la Loi BADINTER.

Reste que cette approche était contraire à « l’esprit de la loi ».

La Cour de Cassation est ainsi venue préciser que « le législateur, prenant en considération les risques associés à la circulation de véhicules motorisés, a entendu réserver une protection particulière à certaines catégories d’usagers de la route, à savoir les piétons, les passagers transportés, les enfants, les personnes âgées, et celles en situation de handicap . Il en résulte qu’un fauteuil roulant électrique, dispositif médical destiné au déplacement d’une personne en situation de handicap, n’est pas un véhicule terrestre à moteur au sens de la loi du 5 juillet 1985».

Rappelant l’approche utilisée pour une voiture miniature électrique dans un manège (Cass. Civ. 2, 4 mars 1998, 96-12.242, Publié au bulletin ; RTD civ. 1998. 693, obs. P. Jourdain) qu’elle avait qualifié de « jouet », la Cour de Cassation a ainsi refusé d’incorporer les fauteuils roulants dans la catégories des véhicules relavant de la Loi Badinter, leur préférant une autre qualification, en l’espèce celle de « dispositif médical ».

Cette approche ne peut qu’être saluée en ce qu’elle permet de rappeler qu’une lecture trop stricte de la Loi du 5 juillet 1985 ne saurait être tolérée.

Cette dernière a, avant toute chose, été rédigée dans l’intérêt des victimes tel que d’ailleurs son intitulé le précise, « Loi n°85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation »

Pour la Cour, ses dispositions ne sauraient donc être utilisées pour empêcher l’indemnisation de ceux qu’elle est censée protéger.