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Pertes de gains professionnels futurs : Divergence d’appréciation au sein de la Cour de Cassation

Par une décision en date du 18 juin 2024 (Cass., Crim., 18 juin 2024, n°23-85.739), la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation est venue réaffirmer le principe qu’elle expose maintenant depuis plusieurs mois, à savoir que « la victime d’un dommage corporel ne peut être indemnisée de la perte totale de gains professionnels futurs que si, à la suite de sa survenue, elle se trouve privée de la possibilité d’exercer toute activité professionnelle ». (Voir également, Cass., Crim 22 mai 2024, n°23-82.958; Cass., Crim., 23 avril 2024, n°23-82.449)

Si cette position avait été également retenue par la 2nde chambre civile en 2023 – voir notamment Cass, Civ 2, 6 juillet 2023, n°22-10.347) – il apparait néanmoins qu’elle n’a pas encore été reprise par la 1ère chambre civile qui maintient pour sa part que « l’auteur d’un dommage doit en réparer toutes les conséquences et que la victime n’est pas tenue de limiter son préjudice dans l’intérêt du responsable« . (Cass., Civ 1., 5 juin 2024, n°23-12.693)

C’est donc finalement deux visions qui s’affrontent désormais.

D’un coté, une approche théorique de la réparation du dommage fondée sur une analyse probabiliste et comptable.

De l’autre, une vision clairement en faveur des victimes d’accidents et se fondant sur une approche humaniste et pragmatique.

Car, sauf à être dans le coma, toute personne peut « théoriquement » travailler.

Il existe des personnes travaillant tout en étant hémiplégique, tétraplégique, paraplégique, amputées, ou encore en ayant un déficit cognitif léger etc…

Dès lors, à quel moment la « privation » de « toute activité professionnelle » devra donc être entendue ? Où le curseur devra-t-il se situer ? L’hypothèse d’une indemnisation totale est-elle condamnée à devenir l’exception ?

Serait-il juste d’exiger d’une victime d’accident une impossible démonstration d’une incapacité générale ? Et dans l’affirmative, sur quel fondement cette démonstration se fonderait-elle ?

Si un Juge ou un avocat connait le droit, que connait-il des compétences professionnelles de tel ou tel emploi ? Le même raisonnement s’applique aux experts chargés d’évaluer le préjudice. En quoi un expert serait-il compétent pour apprécier des possibilités de reconversion sur des métiers dont il ignore jusqu’à parfois même l’existence ?

Que pourrait bien faire un ouvrier sans diplômes, ayant travaillé pendant 20 ans sur des chantiers et ayant perdu l’usage de ses bras ? Caissier ? Vendeur ? Théoriquement, cela est possible. Mais en pratique, nous savons tous que cela ne sera jamais le cas.

L’exigence d’une démonstration de la perte d’une « capacité » d’emploi « totale » est donc à notre sens une erreur et qui pourrait s’apparenter à une probatio diabolica.

Il apparait injuste d’exiger d’une victime – qui pour rappel n’a pas demandé à l’être – des efforts de reconversion et ce, afin de minimiser son préjudice.

C’est finalement ce que dit toujours en substance la 1ère chambre civile de la Cour de Cassation.

Gageons que cette approche soit maintenue et qu’un jour l’Assemblée Plénière tranche en sa faveur.