Une concomitance de temps ne suffit pas à elle seule à démontrer un lien causal sur le plan médical.
Dans une décision du 8 septembre 2021, (Cass. civ. 1, 8 septembre 2021, n° 20-13.773, F-D), la Cour de Cassation a, une nouvelle fois, eu à se prononcer sur l’analyse juridique d’une Cour d’appel en matière obstétricale.
Comme cela est bien souvent le cas dans ce domaine, l’expertise diligentée en amont avait conclu à une absence de faute de la part du médecin accoucheur, point bien évidemment contesté par la victime, ou plutôt, en l’espèce, par son tuteur.
En effet, l’affaire en question concernait un accouchement déclenché en 2009 mais ayant finalement conduit à la réalisation d’une césarienne. Dans ce second temps, la parturiente avait présenté un collapsus cardio-respiratoire à l’origine d’importantes séquelles neurologiques.
Dans le cadre de l’expertise, il avait été considéré que le déclenchement de l’accouchement avait été décidé conformément aux règles de l’art et que le collapsus était un aléa thérapeutique.
Contestant ce point, la famille avait décidé de continuer à poursuivre l’obstétricien en mettant en avant que l’expert n’avait pas pris en compte tout à la fois l’absence de consentement éclairé de la patiente mais également l’état défavorable du col de la patiente.
Il s’en suivait que pour eux, le fait que le collapsus cardio-vasculaire subi par la patiente soit un aléa thérapeutique n’était pas de nature à exclure le lien de causalité direct entre ces fautes du patricien et le préjudice qui en été résulté.
Cette argumentation avait été accueillie favorablement tant à la fois par la juridiction de 1ère instance que par la Cour d’appel d’Angers.
Considérant que le collapsus cardio-vasculaire majeur subi par la parturiente ne serait jamais intervenu sans la décision fautive de césarienne, chacune des juridictions avaient ainsi retenu la pleine responsabilité du gynécologue-obstétricien concernant les séquelles de la patiente.
De manière plus précise, la Cour d’appel avait considéré qu’il ne pouvait être donné crédit à l’analyse de l’expert puisqu’il n’avait pas cherché à évaluer le score de Bishop et ce, alors même que les informations dont il disposait tendaient à affaiblir ce score et à mettre en lumière des conditions locales défavorables.
Par ailleurs, tout en reconnaissant que l’expertise n’avait pas permis d’identifier une cause médicale certaine du collapsus cardiovasculaire, la Cour d’appel avait considéré que le lien de causalité pouvait établi au regard du fait chacun des actes médicaux qui se sont succédés ayant avait pour cause exclusive et directe l’acte antérieur, et le premier des actes de cette chaîne avait été la décision fautive de procéder à un déclenchement artificiel d’accouchement sur un col présentant des signes de col défavorable sans avoir recueilli l’accord préalable de la patient.
C’est cette analyse qui a été doublement censurée par la 1ère chambre civile de la Cour de Cassation.
Sur le premier point, la sanction n’appelle que peu de remarques. Si le juge n’est pas lié par les constatations du technicien ; point d’ailleurs précisé expressément au sein de l’article 246 du Code de procédure civile ; il ne peut en revanche en dénaturer l’écrit de ses conclusions et ce, pour assoir son raisonnement. (Civ. 3e, 3 févr. 1976: Bull. civ. III, no 41 ; Com. 15 mars 1982: ibid. IV, no 99 ; Civ. 1re, 7 févr. 1989: ibid. I, no 73)
C’est en l’espèce ce qu’à rappelé fermement la Cour de Cassation en soulignant que l’expert s’était bien prononcé dans son rapport sur la question du Score de Bishop de telle sorte qu’il ne pouvait être retenu qu’il n’avait pas cherché à l’évaluer.
Le second point en revanche constitue, à notre sens, une approche devant nous amener à nous interroger.
En effet, ceux qui pratiquent la matière le savent bien, il n’est pas rare que, lors des expertises, l’incertitude scientifique soit retenue par les experts, notamment en matière obstétricale et/ou lors de la reconnaissance de préjudices lourds.
Un débat s’instaure alors souvent entre l’expert et les représentants de la victime, de l’assureur et de l’ONIAM afin de connaitre les conséquences de chaque acte.
En réalité, l’enjeu est moins de connaitre la vérité scientifique que de savoir qui va devoir subir la charge de l’indemnisation…
Lors de ce temps de discussion, lorsqu’un acte fautif est identifié, bien souvent deux approches s’affrontent.
D’un côté, celle du praticien indiquant que son acte est sans lien avec les conséquences dommageables résultant souvent d’une succession d’autres évènements.
De l’autre, celle de l’ONIAM et/ou de la victime indiquant que sans l’acte litigieux, la cascade d’événements qui s’en est suivi n’aurait jamais vu le jour.
Les plus perspicaces auront reconnu la vieille opposition entre les différentes théories de causalité, à savoir celle de la causalité adéquate et celle de l’équivalence des conditions.
En l’espèce, il ne faisait pas de doutes que le collapsus était un aléa intervenu lors d’une césarienne, elle-même décidée après une décision de déclenchement pouvant éventuellement être considérée comme fautive.
Au regard de la théorie de l’équivalence des conditions, il pouvait néanmoins être considéré que l’acte litigieux étant responsable de la césarienne, il pouvait également être responsable du collapsus.
Reste que le professionnel de santé faisait valoir qu’aucun lien de causalité n’existait entre la décision de déclencher l’accouchement et le collapsus cardio-vasculaire survenu au cours de la césarienne, et ce, dans la mesure où il résultait de la littérature médicale que le déclenchement d’un accouchement était de nature à réduire les risques grâce à une diminution significative du taux de césarienne.
Ainsi, pour lui, la seule concomitance entre cet acte de déclenchement, ceux qui l’on suivi et la survenue du collapsus ne pouvait suffire à caractériser un lien de causalité juridique.
Cette approche est celle qui semble avoir convaincu la Haute Juridiction.
Devons-nous pour autant y voir une consécration implicite de la théorie « causalité adéquate » ?
Cela n’est pas si sûr.
En effet, la Haute Cour tout en rappelant que le lien peut être établie par tout moyen et notamment par des présomptions, sous réserve qu’elles soient graves, précises et concordantes a uniquement précisé que la seule concomitance entre un acte fautif et une conséquence dommageable ne suffisait pas à l’établir, d’autant qu’en l’espèce, un doute subsistait concernant la cause médicale de la survenue du collapsus.
Ainsi, rien n’indique que le raisonnement de la 1ère chambre civile aurait été le même si l’expert avait conclu à un lien quelconque entre le collapsus et la césarienne voir le déclenchement et/ou si le demandeur avait réussi à le démontrer.
La Haute Juridiction a en réalité uniquement précisé qu’en matière causale, les présomptions ne peuvent se fonder sur une simple échelle de temps.
Le débat reste donc pleinement ouvert concernant les mécanismes d’appréciation du lien causal en matière de responsabilité médicale.