Extrait de l’ouvrage collectif paru chez LEH éditions et de l’intervention de Maitre Mathieu REYNIER du jeudi 5 septembre 2024 à la Faculté de Droit de Montpellier Douleurs et souffrances – Faculté de Droit et de Science politique
La souffrance et la douleur sont consubstantiels à l’existence humaine et ce, depuis la nuit des temps.
L’humain né, grandit, vit, ressent, rit, pleure, meurt et parfois entre-temps, il souffre… S’il n’y fait pas attention, il peut souffrir de faim, de froid, de chaud, mais il peut également souffrir d’un manque, d’un stress, ou encore d’un regard.
«Suffero, ergo sum… » pourrions nous dire.
Bien que souvent présentés comme synonymes, les deux termes revêtent deux réalités distinctes qui s’entrecroisent sans jamais se mélanger totalement.
La « douleur », mécanisme physiologique « d’alarme », permet à tout un chacun de ressentir l’anormalité d’un état de son corps et/ou de son esprit et ce, que cela soit en raison d’une maladie, d’un fait traumatique ou bien encore d’un mélange des deux.
Comme l’exposait Henri LABORIT, « la douleur est une construction strictement personnelle, à laquelle participe tout notre système nerveux »[1].
La « souffrance » est pour sa part le fait que l’individu endure avec intensité cet état d’anormalité[2].
La souffrance n’est donc pas le simple ressenti d’une douleur, mais bel et bien la persistance de ce ressenti, dépassant un seuil de tolérance, ce qui suppose qu’il est toujours empreint d’une subjectivité certaine.
Tout individu douloureux n’étant pas obligatoirement souffrant[3], la souffrance et la douleur bien qu’intimement liées, ne peuvent se confondre.
Appréhendées par les religions, ces expériences désagréables de la vie, ces deux « peines », ont été perçues comme une réponse au péché originel pour les chrétiens[4], une épreuve de dieu pour les musulmans, ou encore une « noble vérité » pour les bouddhistes[5].
Appréhendées par la science, la douleur et la souffrance ont été, et sont toujours des états à combattre et/ou à éteindre. Elles ont été à l’origine de la recherche et de la découverte d’effets pharmacologiques issues de la nature ou synthétisés.
De l’usage de l’écorce de saule ou du pavot[6] à celui du paracétamol et de la morphine, l’utilisation de ces substances a toujours eu initialement pour but la recherche de l’atténuation de la « douleur » et de la « souffrance » qui en découle.
Appréhendées par le Droit, la douleur et la souffrance ont longtemps été considérées comme un châtiment nécessaire à l’absolution d’un crime ou permettant la vengeance. Ce n’est que progressivement qu’elles sont devenues des éléments à compenser par le biais de la réparation.
Bien évidemment, les quelques propos qui vont suivre n’ont aucunement pour vocation d’embrasser l’ensemble de la question relative à l’appréhension de la souffrance et de la douleur par le Droit.
D’excellents travaux ont déjà abordé ce thème de manière savante et l’observateur curieux s’y réfèrera afin d’approfondir la question[7].
Seule sera étudiée – ou plutôt survolée – la question de la douleur et de la souffrance au prisme de la réparation du dommage corporel, sous-thème lui-même vaste mais ô combien central pour tout praticien en la matière.
Pour lire la suite : Douleurs et souffrances – À la croisée des regards
[1] Henri Laborit, éloge de la fuite, 1976, p.66
[2] L’étymologie du mot souffrance viendrait du terme Latin « sufferantia »
[3] Dans certains cas, la douleur est source de plaisir et relève du droit à la vie privée protégé par l’article 8. CEDH, 17 février 2005, AFFAIRE K.A. ET A.D. c. BELGIQUE (Requêtes nos 42758/98 et 45558/99)
[4] Après avoir mangé le fruit défendu, Adam et Eve ont été condamné à subir « la peine » des grossesses et du travail du sol.
[5] « Voici, ô moines, la noble vérité de dukkha : la naissance est dukkha, vieillir est dukkha, la maladie est dukkha, la mort est dukkha, le chagrin et les lamentations, la douleur, l’affliction et le désespoir sont dukkha, être uni avec ce que l’on n’aime pas est dukkha, être séparé de ce que l’on aime ou de ce qui plaît est dukkha, ne pas obtenir ce que l’on désire est dukkha. En bref, les cinq agrégats de l’attachement sont dukkha » Le premier enseignement du Bouddha, Dr Rewata Dhamma, 1997, Claire lumière.
[6] L’écorce de saule ou du pavot sont les ancêtres pharmacologiques de l’aspirine et de la morphine
[7] Voir notamment, Vialla François, Et la douleur devint souffrance, Bordeaux, LEH Édition, 2023, coll. « À la croisée des regards », p.47-86 ; A. Boulanger, La souffrance et le droit. P.U.A-M, 2022 ; La douleur et le droit, Textes remis et présentés par B. Durand, J. Poirier et J.-P. Royer, P.U.F., Paris, 1997, 514 p.