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Défaut D’information

A propos de la démonstration d’un défaut d’information sans conséquences. CA Rouen, 1ère civ., 30 juin 2021, n° 19/01976 : JurisData n° 2021-010653

S’il est un triptyque fondamental à ne pas omettre en matière de responsabilité médicale, c’est bien celui relatif aux trois conditions d’engagement de la responsabilité civile.

Pour pouvoir engager la responsabilité d’un tiers, il est nécessaire de démontrer un fait générateur, un dommage ainsi qu’un lien de causalité les reliant.

C’est ce qu’a malheureusement appris à ses dépens, une patiente ayant portée son affaire jusque devant la Cour d’appel de Rouen.

En 2007, cette patiente s’était vue diagnostiquer par son neurologue un syndrome des jambes sans repos.

Après un premier traitement qui s’était révélé inefficace, après avoir pris avis de ce même neurologue, son médecin traitant lui avait alors prescrit en janvier 2008 une seconde molécule, à des doses qui avaient été progressivement augmentées.

Six mois après le début du traitement, le syndrome avait alors disparu.

Reste que trois années plus tard, en 2011, lors d’une consultation de « routine », le médecin traitant avait informé sa patiente d’un risque inhérent à la prise du produit, à savoir l’apparition potentielle de comportements addictifs.

Quelques mois après, la patiente avait reconsulté son neurologue qui lui avait également confirmé ce risque.

Deux jours plus tard, la patiente tentait de mettre fin à ses jours.

Ayant survécu et s’estimant victime depuis la prise de ce produit, d’une attitude d’achat compulsive ayant mis en péril la situation financière de son ménage, elle avait alors sollicité en référé une mesure d’expertise puis l’indemnisation de son préjudice devant le Tribunal de Grande Instance de ROUEN.

Néanmoins, l’ensemble de ses demandes furent rejetées par le juge de fond de la même manière qu’elle le furent par la suite devant la Cour d’Appel.

Cela s’explique par le fait que lors de l’expertise, les experts avaient retenu que les doses prescrites n’étaient pas supérieures aux doses maximales recommandées et que la molécule était adaptée à la pathologie de la patiente et ce, même s’il intervenait dans un contexte de prescription hors autorisation de mise sur le marché .

Aucune faute en terme de prescription ne pouvait donc être retenue.

Il était cependant avéré que la patiente n’avait pas été avertie des risques de comportements compulsifs avant 2011.

Or, selon l’article L. 1111-2 du Code de la santé publique « toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. ».

Comme cela fut rappelé par la Cour d’appel, il résulte de cette disposition qu’un risque grave scientifiquement à la date des soins comme étant en rapport avec le traitement envisagé constitue, même s’il ne se réalise qu’exceptionnellement, un risque normalement prévisible (Voir également Civ 1ère, 23 janvier 2019, 18-10.706).

La preuve que l’information a été correctement délivrée incombe au praticien et de simples allégations, non corroborées par des éléments de preuve objectifs, ne peuvent suffire. (Civ. 1ère, 14 octobre 2010, n°09-70.221)

En outre, le débiteur de l’obligation d’information ne peut invoquer le fait que d’autres aient pu, ou auraient dû, donner l’information à sa place (Civ. 1ère, 31 mai 2007, n°06-18.262)

En l’espèce, il était certain qu’avant 2008, le risque d’un comportement addictif en cas de prise de cette molécule était bien connu dans le médical et pharmaceutique puisqu’apparaissant dans le VIDAL, avait fait l’objet de parutions dans des revues scientifiques ainsi que dans une lettre de l’AFSSAPS à destination des professionnels de santé.

En outre, il était certain qu’avant 2011, l’information d’un tel risque addictif n’avait pas été donnée à la patiente par les professionnels mis en cause.

En conséquence, un défaut d’information était donc bien établi.

Pour autant, la seule constatation de ce défaut pouvait-il conduire à elle seule à une indemnisation ?

C’est sur ce point que l’appréciation des juges a été implacable.

En effet, bien que reconnaissant que la victime n’avait pas été avertie de la possible survenue d’un risque de comportement compulsif, les juges du fond ont rappelé qu’il lui appartenait d’apporter la preuve de son préjudice, mais surtout du lien de causalité entre celui-ci et le défaut d’information.

Or, pour eux, cela n’était pas le cas en l’espèce.

Sur le préjudice matériel tout d’abord, la Cour a souligné que la patiente n’apportait pas la preuve que les emprunts souscrits par ses soins, qu’elle considérait pourtant comme résultant d’un comportement compulsifs, l’avaient été durant la période de traitement.

Cela d’autant que, comme la Cour l’a souligné, la plaignante ne démontrait pas avoir pris le traitement durant une période de 19 mois avant la découverte du risque.

De la même manière, la plaignante ne démontrait pas l’existence d’emprunts familiaux excessifs ni en quoi les achats qu’elle considérait comme litigieux résultaient d’un achat « compulsif ». Il ne s’agissait en réalité que de « dépenses modestes ».

Concernant la tentative d’autolyse, le même raisonnement fut retenu.

La plaignante invoquait le fait que celle-ci était liée à un sentiment de culpabilité en rapport avec les achats dissimulés et des prêts familiaux.

Reste que l’existence de ces achats et de ces prêts n’étant pas démontrée, la Cour ne pouvait qu’écarter la demande visant à l’indemnisation de la tentative d’autolyse.

En conclusion, la Cour a retenu que la plaignante n’établissait pas avec certitude que le risque associé au défaut d’information se soit concrètement réalisé.

Ainsi, et bien que le défaut d’information ait été reconnu, aucune indemnisation fondée sur la reconnaissance d’une perte de chance ou encore d’un préjudice d’impréparation ne pouvait intervenir.

Bien que quelque peu sévère ; puisque la patiente a finalement été condamné à 5 000 euros d’article 700 CPC alors qu’elle faisait état d’un surendettement ; cette décision a pour mérite de rappeler que l’approche d’un dossier d’indemnisation en matière médicale ne saurait reposer sur la seule démonstration d’une faute.

En effet, bien trop souvent, l’aspect indemnitaire est considéré comme « allant de soi » alors qu’en réalité il n’en est rien.

Une indemnisation ne pourra finalement être défendue que lorsque l’ensemble des éléments nécessaires à son obtention ont été réunis.

Le travail de démonstration ne doit donc pas s’arrêter au seul aspect de la qualification du fait générateur mais doit également s’étendre au deux autres conditions de la responsabilité, à savoir l’existence du dommage réparable et le lien de causalité.

Cette démonstration doit s’appuyer sur des éléments probants réunis et communiqués en amont et non sur de simples déclarations et/ou déductions « logiques ».