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Accident corporel et Etat antérieur : Une fragilité psychologique préexistante ne saurait être opposée.

Dans une décision du 11 juillet 2024, la seconde chambre civile de la Cour de cassation est venue une nouvelle fois rappeler que « le droit de la victime à obtenir l’indemnisation de son préjudice corporel ne saurait être réduit en raison d’une prédisposition pathologique lorsque l’affection qui en est résultée n’a été provoquée ou révélée que par le fait dommageable ».A

En l’espèce, une victime d’un accident de la circulation survenue en 1999 s’était vu opposer dans le cadre de l’évaluation de son préjudice corporel le fait que « la tendance de la victime à somatiser « aurait inéluctablement, même sans l’intervention de l’accident, conduit à une incapacité fonctionnelle »« .

En d’autres termes, alors même que sa fragilité psychologique n’avait pas entraîné une incapacité ou une invalidité sur le plan professionnel, la victime se voyait reprocher un état antérieur latent lié à sa personnalité.

La Cour d’appel de TOULOUSE, dans un arrêt du 28 février 2022, avait validé le raisonnement et débouté la victime de sa demande d’indemnisation au titre notamment de son incidence professionnel.

Un pourvoi ayant été formé, la Cour de Cassation a pu rappeler qu’un tel raisonnement est contraire au principe de la réparation intégrale.

Une Jurisprudence ancienne en faveur des victimes

En matière d’évaluation médico-légale, il est maintenant de jurisprudence ancienne de retenir que lorsque l’accident a été l’élément déclenchant d’une pathologie antérieure latente, qui était alors asymptomatique et muette, ou lorsque le traumatisme a entraîné la décompensation d’un équilibre jusque-là maintenu par une compensation naturelle, l’événement traumatique est considéré comme la cause de l’entier dommage (Civ. 2ème, 8 décembre 1993, n°92-15720 ; Crim. 12 avril 1994, n°93-84367 ; Civ. 2ème, 13 juillet 2006, RCA 2006, comm n° 361 ; Crim. 30 janvier 2007, RCA 2007, comm. N° 148 ; Crim., 16 juin 2009, n°08-88283 ; Civ. 2ème, 10 novembre 2009, n°08-16920 ; Civ. 2è, 8 juillet 2010, n°09-67592 ; Crim. 11 janvier 2011, n°10-81716 ; Civ. 2ème, 29 mars 2012, n°11-13021 ; Civ. 2ème, 14 avril 2016, n° 14-27.980, JurisData 2016-007664 ; Civ. 2ème,13 juillet 2006, RCA 2006, comm n° 361 ; Crim. 30 janvier 2007, RCA 2007, comm. N° 148).

Cela a conduit récemment à reconnaître :

  • L’imputabilité de malaises vagaux et céphalées en raison d’une symptomatologie psychiatrique et psychologique antérieure à l’accident mais révélée à l’occasion de celui-ci (Cass, Crim 16 mai 2023, n°22-85.322)
  • L’imputabilité d’une décompensation d’un état arthrosique dégénératif du rachis cervical et ce, même s’il s’agit d’une pathologie évoluant lentement et pour son propre compte, qui existait antérieurement à l’accident. (Cass, Civ 2, 9 février 2023, n°21-12.657)
  • L’imputabilité d’une décompensation anomalie du défilé thoraco-cervico-scapulaire gauche connue depuis l’enfance, mais qui n’occasionnait aucune douleur et ne donnait lieu à aucun traitement avant l’accident (Cass, Civ 2, 8 avril 2021, n°20-10.621, Publié au bull)
  • L’imputabilité d’un déclenchement d’une maladie de PARKINSON dès lors que cette maladie était un état antérieur méconnu, que selon les conclusions de l’expert il n’était pas possible de dire dans quel délai cette maladie serait survenue, que la pathologie ne s’était pas extériorisée avant l’accident sous la forme d’une quelconque invalidité et que cette affection n’avait été révélée que par le fait dommageable (Cass, Civ 2, 20 mai 2020, n°18-24.095, Publié au bull)

Une fragilité psychologique n’est pas un état antérieur opposable pour limiter l’indemnisation

Pour limiter le dommage imputable à l’accident, le raisonnement des experts avait été que la victime aurait tôt ou tard présenté une incapacité fonctionnelle.

Reste que se faisant, les experts avaient préjugé d’une évolution supposée d’un état latent au moment de l’accident.

En retenant ce raisonnement, l’arrêt de la Cour d’appel de TOULOUSE ne pouvait qu’être censuré.

On ne saurait opposer à une victime, une fragilité préexistante dès lors que cette dernière n’a pas de conséquences sur sa vie.

Et quand bien même le fait dommageable ne serait qu’une « goutte d’eau » faisant « déborder le vase », le dommage en résultant doit être appréhendé dans son intégralité.

C’est le coeur du principe de la réparation intégrale.